The House That Jack Built

Lars von Trier, 2018, Danemark/France/Allemagne/Suède, DCP, version originale multilingue sous-titrée français, 155', 18/18 ans

Archives 2018

Description

Provocateur, Lars? Qui en a déjà douté? Mais plus qu’un doigt d’honneur, il s’agit ici d’une provocation réfléchie, par laquelle il s’interroge sur son propre cinéma, sur l’art en général, sur lui-même et le monde.

Avec cet autoportrait de l’artiste en psychopathe, Lars von Trier s’expose délibérément aux foudres de ses détracteurs. Voici, Jack, un criminel qui cherche à accomplir ses crimes comme des œuvres d’art, s’améliorant, s’efforçant d’en renouveler la mise en scène. Comment ne pas être scandalisé de voir Lars von Trier parler ainsi de lui-même, doter son héros de ses propres angoisses, de ses troubles obsessionnels compulsifs, de ses questionnements métaphysiques? Virons le terme «psychopathe» et ne gardons que les névroses ou les psychoses du personnage et apparaîtra le visage de Lars. En partie seulement car il faut se garder de prendre au pied de la lettre ce merveilleux (dé)trompeur. Lars von Trier est à la fois là, et pas là. Il est le tueur et ne l’est pas. Et la discussion de Jack  – Matt Dillon, confirmant qu’il est un immense comédien – en voix off avec Verge (!), le guide – fabuleux Bruno Ganz – qui le mène aux enfers tandis qu’il raconte son histoire, constitue bien moins un échange, qu’un dialogue socratique et schizophrène entre Lars et lui-même, entre le ça et le surmoi, entre l’homme pulsionnel et l’homme civilisé. «The House that Jack Built» est en cela comparable à «Ténèbres» où Dario Argento répondait aux journalistes qui l’accusaient d’avoir l’âme d’un tueur, par la mise en place d’un héros créateur et assassin, écriture et crime se nourrissant mutuellement. Il y a ce même rire narquois chez Lars von Trier. Or, c’est surtout une gigantesque psychanalyse qu’il nous livre, une confession essentielle et nécessaire. Il pousse même le procédé de mise en abîme jusqu’à intégrer des extraits de ses propres films à «The House that Jack Built», donnant ainsi de sacrées clés pour le reste de son œuvre, comme un mode d’emploi indispensable. À travers cet ange exterminateur, c’est une catharsis par la création et le rire, pour ne pas crever, pour ne pas devenir fou, qu’expose Lars von Trier. [...]

De cette révélation découle qu’il ne faut ne mettre aucun frein, aucun tabou, aucun interdit. L’art comme le crime ne supporte pas la morale. L’artiste se doit d’être libre, de s’affranchir des contraintes, il a le droit de montrer l’immontrable… tant c’est à travers le prisme de son regard. Libre au spectateur de fermer les yeux. A n’en pas douter Lars von Trier s’est souvenu de Thomas De Quincey et a fait donc de son héros quelqu’un qui considère «l’assassinat comme un des beaux-arts», son oeuvre. Celle de Lars est totalement folle. Philosophique. Démiurgique. Elle traite de tout, ose faire rimer les mains de Glenn Gould avec celles d’un meurtrier; qui cite enfin «Le mariage du ciel et de l’enfer» de William Blake pour définir notre époque et notre planète. En cela, jamais Lars von Trier n’avait été aussi proche de Peter Greenaway, deux cinéastes érudits, malicieux, pinces-sans-rire qui emploient le cinéma comme un vaste espace d’expérimentation où la voix du personnage fictif feint de se substituer à celle du cinéaste; les raisonnements philosophiques, les réflexions et digressions culturelles constituent moins des ruptures que des démonstrations par l’image et le verbe, où défilent les références picturales, littéraires, musicales. – Olivier Rossignot, Culturopoing.com