The Childhood of a Leader

Brady Corbet, 2015, États-Unis, HD, version originale anglaise et française sous-titrée français et anglais, 115', 16/16 ans

Première suisse en exclusivitéÀ l'affiche pour 6 séances seulement

Archives 2017

Description

Après de longs mois d'attente, nous avons l'immense plaisir de vous présenter en Première suisse l'époustouflant «The Childhood of a Leader» de Brady Corbet, qui ne sera montré qu'à six reprises, et exclusivement au Cinéma Bellevaux, aux dates mentionnées ci-dessus. Aussi sensible que radical, mariant avec audace et majesté Stacy Martin, Robert Pattinson, Bérénice Bejo ou Yolande Moreau autour de l'immense bande sonore signée Scott Walker qui orchestre leurs incarnations, ce premier film, qui aura fait littéralement trembler la Mostra de Venise, est une occasion rare de toucher au cinéma qui nous est cher par ce qu'il convient d'appeler l'une de ses virtuoses extrémités. Merci à Rémy Dewarrat pour le très bel article ci-dessous, publié sur Clap.ch, que nous sommes heureux de partager ici:

 

La croissance du mal

 

Avec son premier long métrage, Brady Corbet signe une oeuvre magistralement déstabilisante, une réflexion à la fois impertinente et rigoureuse sur le mal absolu, servie par une mise en scène, une musique et une distribution en état de grâce totale.

Quand on est bouleversé par une oeuvre, on n’a qu’une envie: la partager avec ses connaissances, amis ou moins amis qu’importe, et en débattre avec elles. «The Childhood of a Leader» de Brady Corbet fait partie de ces très rares objets artistiques qui vous hantent durablement car ils touchent autant les sens que l’esprit. Intelligemment couronné par deux prix au Festival de Venise où il était présenté dans la section Horizons en 2015, ce film exceptionnel à plus d’un titre possède une aura sulfureuse qui ne peut laisser indifférent, ce qui devrait être l’essence-même de toute création qui s’interroge sur la nature de l’humain et son histoire.

Après une ouverture musicale accompagnant des images d’archive ancrant le récit à venir dans un contexte tangible, le long métrage ausculte une famille au lendemain de la Première Guerre Mondiale quelque part dans la campagne française près de Paris. Un diplomate américain (Liam Cunningham) très proche du Président Wilson vit dans une grande maison avec sa femme (Bérénice Bejo) et leur fils (Tom Sweet). Un soir, ce dernier jette gratuitement des cailloux sur les fidèles à la sortie d’un office. Sa punition sera de s’excuser lors d’une prochaine cérémonie. Il le fait sans conviction, mécaniquement et très hypocritement. Entre l’ouverture et le prologue, on assiste à trois crises de cet enfant caractériel qui tient tête à tout le monde: ses deux parents, le curé du village et les employés de maison. Ses frasques sont de plus en plus fréquentes et audacieuses car il a parfaitement assimilé dans son propre intérêt la notion judéo-chrétienne très sournoise qu’est la demande de pardon: la confession devient son arme de prédilection. Les seules personnes qui trouvent un semblant de grâce à ses yeux sont sa maîtresse de français (Stacy Martin) qu’il utilise comme un éveil à sa jeune sexualité, illustré par un sublime plan sur un chemisier rendu transparent par un effet de luminosité, et la bonne, Mona (Yolande Moreau), chez qui il trouve la fibre maternelle que ne lui donne pas sa génitrice. Mais quand elles deviennent un fardeau, il trouve un moyen de les éloigner sans aucun état d’âme. La famille est régulièrement visitée par Charles (Robert Pattinson) qui semble ne prêter aucune attention particulière à cet enfant turbulent.

Ce premier long métrage brillant est l’oeuvre de Brady Corbet, un comédien que l’on a pu voir chez Catherine Hardwicke («Thirteen»), Gregg Araki («Mysterious Skin»), Michael Haneke («Funny Games US») ou Lars von Trier (il interprète le jeune-homme que se tape Kirsten Dunst le soir de son mariage dans «Melancholia»). On sent très clairement que le fait d’avoir travaillé avec Haneke et von Trier lui a laissé des marques. La caméra du cinéaste observe intimement un être démoniaque qui ne cherche qu’une seule chose: acquérir le pouvoir absolu et ne pas le partager. Dans le rôle de ce démon en devenir, le jeune Tom Sweet laisse pantois. Il incarne littéralement l’ambition malsaine de son personnage grâce à une fureur troublante dans son regard, ses attitudes, ses propos et ses actes, jouant sur l’androgynie perturbante de son physique d’ange blond aux cheveux longs. Pour relever le façonnage du chaos auquel aspire cet enfant pervers, la mise en scène propose une série de plans sur des endroits vides de la maison où l’escalier devient un symbole de l’ambition et de la déchéance, suivant si l'on se trouve en haut ou en bas de celui-ci, ou sur une nature malveillante, comme un nid de vipère ou des paysages brumeux. La géniale musique de Scott Walker procède de la même manière en triturant les contrastes par le biais d'une armée de violoncelles métronomiques et martiaux dans des tons très graves, brutalisée par les sons aigus des violons ou des flûtes sans cesse sur le fil du rasoir de la dissonance. Pour parvenir à ses fins, Brady Corbet quitte le réalisme mis en place jusqu’à l’épilogue pour retourner littéralement son film dans un univers fictif proche de l’anticipation et conclut son chef-d’oeuvre par un mouvement de caméra hallucinant qui personnifie le chaos dans son sens le plus strict. Espérons sincèrement que ce coup d’essai magistral n’est que le début d’une filmographie qui fera date. – Rémy Dewarrat, Clap.ch