Il mio corpo

Michele Pennetta, 2020, Suisse/Italie, DCP, version originale italienne sous-titrée français, 80', 16/16 ans *En présence du réalisateur | Réservation

VE*, SA*, DI à 20:30 | MA à 18:45

Description

On fait la connaissance d’Oscar, jeune garçon désabusé vu comme un bon à rien par son père, qui l’utilise pour gagner sa vie, en ramassant des déchets dans une vallée déserte. La figure paternelle apparaît symboliquement en hauteur, agacée et sévère, tandis qu’Oscar et son frère manipulent en bas les objets dont plus personne ne veut. Et puis, il y a Stanley, un réfugié venu du Nigéria qui tente de subsister à ses besoins en faisant le ménage dans une église. Il trime lui aussi dans l’ombre, au service d’une figure tutélaire, sans jamais véritablement récolter le fruit de son travail. Le film nous montre comment ces deux personnages invisibles, confrontés au mépris ou à l’indifférence, vont tenter d’échapper à un destin que l’on a choisi pour eux.

Il y a dans le scénario un caractère presque biblique, comme si chacun des personnages était guidé par une mission prophétique. On retrouve cette dimension dans la mise en scène de Michele Pennetta avec, par exemple, au début, la découverte d’une vierge de cire ou encore les extraits du «Stabat Matter» composant la bande-son du film. Cette pièce fut imaginée en 1736 par Giovanni Battista Pergolesi, jeune compositeur tuberculeux qui se retira deux ans avant sa mort dans un monastère près de Naples pour écrire ce qui deviendra l’un des plus grands chefs-d’œuvre de la musique baroque. C’est donc métaphoriquement dans la douleur que doit surgir la libération d’Oscar et de Stanley: pendant que leurs camarades se complaisent dans la langueur de leurs destins respectifs, les deux personnages n’ont pas d’autre choix que de fuir, loin, sans savoir où cet exil pourra les mener.

Les rares scènes joyeuses sont ainsi des scènes de mouvement, ces longues balades à vélo ou une virée en mer donnant une impression de profondeur. Ce qui contraste avec le mode de vie plutôt sédentaire des autres personnages, le plus souvent présents dans les scènes domestiques à l’intérieur du foyer. Alors qu’elle apparaît habituellement en lieu édénique, source de soleil et de dépaysement, la Sicile est ici montrée comme une terre étroite, cloîtrée, où l’éloignement du continent est plus un défaut qu’une qualité. La carte postale semble se consumer en silence sous un climat insulaire très pesant, bientôt remplacée par des problèmes que les touristes ne voient pas. D’un côté, la précarité d’Oscar et de sa famille, entassés dans un petit appartement insalubre, vivant au jour le jour des revenus de la déchetterie; de l’autre, les galères administratives de Stanley qui, malgré son visa, ne parvient pas à trouver de situation stable et s’expose aux critiques de son compagnon de voyage. La pauvreté et l’immigration sont ici étudiées à l’échelle individuelle, plongeant le spectateur dans l’intériorité de ceux qui la vivent plutôt que dans la manière dont la société les perçoit de l’extérieur, que l’on imagine par avance (racisme, mépris de classe). Et c’est pourtant quand les deux phénomènes se croisent, comme unis par la galère, qu’une lueur d’espoir finit par apparaître.

Cette démarche fait toute l’originalité du documentaire, qui refuse de tomber dans le cliché du cinéma social et parvient à brosser, avec la délicatesse d’un Ken Loach, le parcours de deux marginaux ignorés de tous, tout en maintenant un voile pudique sur leurs sentiments véritables. Comme l’indique le titre du film, ce sont avant tout les corps qui parlent, tandis que les pensées, à force d’être réduites au silence, deviennent le dernier privilège des êtres solitaires. Michele Pennetta ne s’intéresse pas au monde extérieur, ce qui peut lui être reproché, mais prémunit au moins contre toute tentative de jugement ou de conjecture, car seuls ceux qui vivent l’action en sont les témoins. Une posture qui prend tout son sens lorsqu’on apprend que Stanley et Oscar existent bel et bien, et que le réalisateur italo-suisse les a suivis pendant plusieurs semaines, afin de coller le plus possible à leur réalité. «Il Mio Corpo» fait d’ailleurs partie de la sélection internationale du festival documentaire Visions du réel de Nyon.

Le film ne manque pourtant pas de richesse formelle, que ce soit par la lumière envoûtante de certaines scènes ou les décors, où se mêlent la beauté de la nature et la misère des gens qui y vivent. La caméra alterne gros plans et plans-séquences, faisant dialoguer le regard des personnages avec les montagnes muettes de la Sicile reculée. Tout cela manière très énigmatique, à l’image d’une fin qui peut être interprétée de différentes manières. On sort de la salle avec le sentiment d’avoir vécu un moment à part, un de ces rares voyages où le visiteur s’efface devant la réalité abrupte de ceux qui l’accueillent. Avec ce premier long-métrage, Michele Pennetta dévoile déjà un potentiel scénaristique certain qu’il serait bon de suivre dans les années à venir. – Vincent Marcelin, aVoir-aLire.com

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