Lux Æterna

Gaspar Noé, 2019, France, DCP, version originale française, anglaise et danoise sous-titrée français, 51’, 16/16 ans

Archives 2021

Description

Technicien hors pair et expérimentateur insatiable, Gaspar Noé s’est parfois un peu égaré, perdu entre ses ambitions plastiques et ses interrogations métaphysiques. Une quête à la fois absolue et naïve, qui culmina avec «Enter the Void», pensum virtuose, mais indigeste. Depuis, le cinéma de Noé s’est resserré autour de concepts plus terre-à-terre, explorant la représentation de l’amour («Love») ou s’immergeant jusqu’à la suffocation dans l’extase («Climax»).

Avec «Lux Æterna», il pousse son dispositif plus loin dans l’apparent dénuement, pour mieux nous offrir une explosion sensorielle et métaphysique hors du commun. On suit ici quelques heures dans la vie d’un tournage voué à une apocalypse totale, alors qu’une réalisatrice pour le moins incendiaire tente de contrôler un plateau au bord de l’implosion. L’occasion de tirer à boulets rouges sur une industrie dont le film se moque ici, croquant une galerie de fous furieux, de parasites et opportunistes tous sur le point de sombrer dans la démence. L’idée est bonne, le ton souvent féroce, quand bien même cet aspect phagocyte un peu trop la première partie de l’intrigue.

Ce qui pourrait n’être qu’un gadget formaliste ou maniéré ne causant que du milieu du cinéma pour les cinéphiles avertis ou nombrilistes se transforme rapidement en boulet de démolition hallucinogène. Dans un geste simultanément chaotique, malicieux et ludique, il s’amuse de ses références filmiques, qui explosent à l’image, tout en se moquant de la vanité de ses personnages et de leur entreprise. Le résultat est d’une revigorante agressivité, et n’en restant pas à sa surface de dézingage azimuté, offre au cinéaste un terrain de jeu phosphorescent.

Gaspar Noé a multiplié les tours de force techniques et les défis technologiques, offrant au cinéma français quelques-uns de ses plus beaux tours de force, et s’il obtient avec «Lux Æterna» un impact équivalent, il y parvient en usant pour l’essentiel d’un dispositif inédit dans son univers: le split screen. Utilisé comme vecteur du fourmillement puis de l’embrasement du plateau, le procédé est à la fois vecteur de vertiges plastiques quand des points de vue concomitants se superposent, de sens quand il rend palpable la furie du plateau, mais aussi de l’emprise physique du métrage sur son spectateur.

Car c’est aussi un des désirs de Noé: engendrer un matériau qui interagisse physiquement avec le public. Et pour ce faire, le réalisateur nous prend une nouvelle fois par surprise, en feignant le geste de petit malin, pour mieux créer un objet inclassable, qui en appelle presque exclusivement aux sens.

Jubilatoire, éreintant, le film quitte soudain son vorace flingage du milieu pour se transformer en stroboscope de chairs et de photons mêlés. Les émotions engendrées par l'expérience sont d'autant plus étonnantes qu'elles ne naissent ni dans l'esprit, ni dans le coeur de l'observateur, mais bien à la surface même de sa cornée, irradiée par une succession d'images qui n'ont pas d'autres désirs que d'engendrer des décharges de stimulus inédits.

Un mauvais trip maléfique, qui jouit des limites cognitives dans lesquelles il pousse Charlotte Gainsbourg ainsi que le spectateur/voyeur qui l’accompagne. Gaspar Noé y parvient avec ivresse, mais sans gueule de bois, grâce au format de l’œuvre, plongée abismale de 50 minutes à peine. C’est aussi la limite de «Lux Æterna», sauvé par son incroyable densité, limité par le statut de curiosité indéchiffrable qu’elle lui confère. Chacun jugera s’il découvre là une installation vidéo baignée d’acide ou un film à proprement parler, mais personne n’en sortira indemne. – Simon Riaux, écranlarge.com

Images @ UFO distribution