«Black Swan» (2010), de Darren Aronofsky, était dans presque dans tous les esprits lors de la projection à Venise de «Vox Lux», le deuxième long-métrage de Brady Corbet, sélectionné cette année* pour la course au Lion d’or, à la Mostra. D’abord parce que Natalie Portman y tient le rôle d’une pop star, Celeste, que la scène absorbe et essore jusqu’à l’épuisement. Mais aussi parce qu’il est question dans ce film, comme dans «Black Swan», de la difficulté d’être une artiste, soumise au regard des autres, à la critique et à la pression de son entourage professionnel.
Pour autant, la comparaison s’arrête là. Car le sujet du film de Brady Corbet réside dans le traitement d’une époque, la nôtre, soumise à une violence nouvelle. Chronique sur vingt ans de la vie d’une star, «Vox Lux» mêle attaques à mains armées, costumes et show à paillettes dans un désordre dont les télescopages créent le chaos en même temps qu’un sentiment d’obscénité. Fragile, gothique, rock’n’roll, capricieuse et autoritaire, la chanteuse Celeste, portée par une Natalie Portman quasi méconnaissable derrière ses maquillages outranciers, incarne à elle seule cette folie.
Face à elle, son manager (interprété par Jude Law), fait ce qu’il peut pour contrôler les débordements de la chanteuse, reflets d’un monde déréglé dont a voulu rendre compte Brady Corbet. «Le XXe siècle a été défini par la banalité du mal et le XXIe siècle sera défini par l’apparat du mal», a proféré le réalisateur lors de la conférence de presse qui a suivi la projection de son film.
«Vox Lux» s’ouvre en 1999 sur une scène de massacre dans une classe de lycée, aux États-Unis, où se trouve Celeste. Gravement blessée, il n’est pas dit qu’elle pourra remarcher. Cependant, remarquée lors d’une cérémonie organisée en hommage aux victimes durant laquelle elle interprète une chanson écrite par ses soins, l’adolescente (Raffey Cassidy) va travailler dur. À la fois pour retrouver l’usage de son corps et pour combattre le souvenir du traumatisme.
Le film met en scène ce traumatisme, que le personnage va endurer toute sa vie. Et qu’il exacerbe, en le transposant dans le monde du spectacle. Un monde des apparences qui exige de ses stars qu’elles tiennent debout et livrent le meilleur d’elles-mêmes.
Dans la réalité, cette année 1999 est celle où deux élèves de l’école de Columbine, dans le Colorado, ont ouvert le feu et tué un professeur et douze de leurs camarades. «J’ai grandi dans cet État et j’habitais près de Columbine, lorsque cette tragédie s’est produite, a raconté Brady Corbet. J’avais alors dix ans et cela a marqué ma vie, mais je n’ai pas voulu clairement relier «Vox Lux» à cet événement, je ne voulais pas exploiter un tel drame.» Cet événement, comme d’autres – au moment des attentats du Bataclan, le réalisateur se trouvait à Paris pour travailler à son premier film, «The Childhood of a Leader» –, appartient à la genèse de «Vox Lux.»
«Ce film est un portrait de notre société, une réflexion sur le lien entre l’art et la violence, a souligné Natalie Portman. Je m’intéresse à ces questions. À la violence et ce qu’elle produit chez les individus. Je pense que nous vivons une sorte de guerre civile aux États-Unis, et cela a un impact sur nous tous, les enfants et les adultes. Nous vivons dans une période d’anxiété, où nous avons toujours un peu peur lorsque nous déposons nos enfants à l’école.»
C’est une des raisons pour lesquelles elle a été touchée par le film, dont certaines répétitions, a-t-elle précisé, se sont passées «à la maison», les chorégraphies étant signées par le danseur Benjamin Millepied, son mari. La bande-son, quant à elle, a été composée par Scott Walker et Sia. – Véronique Cauhapé, Le Monde
*L'article fait référence à la 75ème édition (2018) de La Mostra de Venise.
Images: © Neon/Everett Collection, © Bold Films