The Lighthouse

Robert Eggers, 2019, États-Unis, DCP, version originale anglaise sous-titrée français et allemand, 109', 14/16 ans

Archives 2020

Description

Une musique cuivrée, lourde, au demeurant très belle sur un fond d’écran noir ; puis, soudain, la mer grise et deux hommes filmés de dos, qui bravent les flots, et peut-être déjà leur solitude, pour aller se terrer dans un phare, en plein milieu de rien, pour quelques semaines. L’intrigue est en apparence simple. Même follement banale, celle de deux hommes qui partent garder un phare pour un temps indéfini. Sauf que ces deux êtres sont aussi différents qu’intrigants. L’un, l’ancien, celui qui occupe la fonction principale de gardien, boite ; il est âgé, sombre, et d’une cruauté inouïe à l’égard de l’autre, plus jeune, plutôt bel homme, qui vient seconder le premier dans cette tâche profondément ingrate. En fait, ces deux destins qui se croisent et vont habiter ensemble plusieurs semaines, vont faire basculer un récit des plus anodins en une sorte de cauchemar psychologique puissant, à mi-chemin entre «Shining» de Kubrick et «Sueurs froides» ou «Les oiseaux» du maître Hitchcock.

Robert Eggers est un cinéaste inspiré. «The Witch» faisait la démonstration que l’épouvante peut survenir du dépouillement le plus total, par le simple fait de la suggestion. Le récit avait lieu dans temps ancien, et «The Lighthouse» fixe aussi sa narration dans une époque éloignée, entre la fin du dix-neuvième siècle et le début du vingtième siècle, en apparence, en pleine révolution industrielle où le charbon tenait pour source d’énergie principale. Les bateaux à charbon coulent sur les océans, les phares sont éclairés à partir de l’énergie carbonée et l’huile, les ouvriers sont soumis à la rudesse de leur condition prolétaire et à la violence sans limite de ceux qui les emploient. En réalité, derrière ce récit terrifiant, le réalisateur fait le procès de conditions de travail inadmissibles, assez proches d’une forme d’esclavagisme sans limite.

Le film ruisselle de partout et on tremble de froid avec les deux comédiens, soumis aux épreuves de la tempête. Willem Dafoe et Robert Pattinson excellent dans ces rôles, pour l’un de gardien du phare, et pour l’autre, assistant relégué aux tâches ingrates. Les corps semblent désarticulés par des existences qu’on imagine longues et traversées par les pires maux. La détresse se lit dans chaque mouvement, chaque regard des deux protagonistes, alternant parfois avec des rires épais, surtout quand l’alcool s’invite dans la danse. La monstruosité n’émane pas d’un esprit extérieur. Elle habite chacun des deux personnages, l’un, le plus jeune étant totalement soumis à la cruauté de l’autre.

Indéniablement, «The Lighthouse» est très beau. Le noir et blanc soigné rajoute à la froideur des lieux filmés. La musique quasi permanente fait figure de personnage dans le récit, surlignant l’horreur des lieux, comme issue des cheminées de navires. Le cinéaste ne cherche jamais la facilité. Au contraire, la laideur intérieure de nos deux personnages ne doit jamais faire oublier le cadre magnifique de la mer, même en plein déchaînement. Les mouettes et les goélands s’invitent dans cette sinistre fête et participent à cette mise en scène qui s’approche de la perfection. Eggers offre une photographie très travaillée, car son propos ne doit jamais céder à la vulgarité. Même ses deux comédiens parviennent à cultiver une véritable subtilité dans leur jeu, en dépit de leurs deux forts caractères, afin que le récit ne se perde jamais dans la démesure. Et pourtant, malgré le cadre des plus esthétiquement soignés, l’horreur grandit au fur et à mesure de l’histoire. Quant à la fin, elle couronne un film dont on perçoit qu’il apportera sa pierre à l’histoire du cinéma. – Laurent Cambon, À Voir À Lire

Images © Universal Pictures