No Apologies

A. Dampha, E. Anokwa, L. Rupp, 2019, Suisse, DCP, version originale multilingue sous-titrée français et anglais, 50', 16/16 ans Avant-première en présence de l'équipe du film (COMPLET)| Sortie limitée à huit séances (voir toutes les dates)

Réservation: info@zooscope.ch

Archives 2019

Description

Projeté en première mondiale au Festival Cinémas d’Afrique, le film «No Apologies», qui raconte la vie de migrants noirs à Lausanne, a fait salle comble.

Ils n’ont pas l’habitude des «standing ovations». Pourtant, Ebuka Anokwa, Aladin Dampha et Mamadou Bamba y ont eu droit samedi. Ils venaient défendre au Festival Cinémas d’Afrique «No Apologies», réalisé avec leurs amis Lucas Grandjean, Lionel Rupp et Lucas Morëel, tous issus du collectif Kiboko. Documentaire sur la vie précaire des migrants noirs de Lausanne face au racisme, il a fait exploser les 482 places de la salle Paderewski, au coeur du Casino de Montbenon. Un succès. «On l’a rarement vue aussi pleine à craquer!» se félicite Sam Genet, coordinatrice du festival, qui programmait pour la première fois une production locale.

«Jusqu’ici nous avions peur de nous exprimer. Dorénavant, nous prenons notre place.» Rendre la parole aux premiers concernés par le racisme, c’est ainsi qu’Aladin Dampha résume le but de ce documentaire qui le suit lui et ses amis au cours de quatre soirées d’octobre 2018 à l’espace autogéré de Saint-Martin, dans le quartier du Flon. «No apologies»: sans concessions. «Personne ne devrait s’excuser d’exister. Nous nous devions de raconter ce que les Noirs vivent à Lausanne.»

Intimidations et violences policières, stigmatisations, peur constante et isolement sont les composantes d’un «siège physique et mental» qui mutile leurs vies – le tout invisibilisé au quotidien. «On ne s’intéresse pas à leurs vies, sauf lorsque l’un d’eux meurt», se désole Lucas Morëel. Dédié à leur ami Mike, un Nigérian de 40 ans décédé d’un arrêt cardiaque en mars 2018 à la suite d’une interpellation violente (notre édition du 26 septembre 2018), le documentaire de cinquante minutes raconte aussi l’ordinaire: matches de foot, débats philosophiques autour d’une bière, cuisine et poésie. Aux témoignages face à l’injustice se mêlent les affirmations d’identité, la réappropriation de l’expression publique.

«Même lors des manifestations après la mort de Mike, les gens criaient ‘la vie des Noirs compte’, mais les Blancs étaient au-devant de la scène.» Aladin est amer. Pas contre les personnes solidaires, mais contre une situation qui les empêche de prendre la place qui leur revient: «Il fallait que je puisse dire ce que j’ai sur le coeur.» Son ami Mamadou poursuit: «À chaque déplacement, nous avons peur de la police. Pouvoir parler nous-mêmes de notre situation nous met en danger. Beaucoup ont craint d’apparaître dans ce film, même s’ils soutenaient la démarche.»

«Pour nous qui les côtoyons depuis des années et sommes Blancs et Suisses, c’était un véritable exercice d’humilité», raconte Lionel Rupp, derrière la caméra. «C’est dommage que ça prenne autant d’énergie et qu’il faille se masquer à l’écran pour pouvoir simplement avoir voix au chapitre», martèle Ebuka. Et de poursuivre: «Nous faisons ces efforts, c’est maintenant à ceux qui voient le film d’effecteur les leurs pour faire changer les choses.»

Tourné avec un petit budget de 10 000 francs, autofinancé par le collectif d’artistes Zooscope et les groupes lausannois solidaires des migrants, «No Apologies» aura reçu l’aide d’une trentaine de bénévoles pour être bouclé. L’écriture, elle, s’est faite collectivement, jusqu’au dernier moment: «Chacun a apporté sa patte, mais il était important qu’on voit à l’écran les premiers concernés, avance Lucas Grandjean, producteur. Mais tout le monde assume la radicalité du propos.» Qui aura fait mouche au festival.

«Que pouvons-nous faire pour les aider en tant que Lausannois?»; «quel que soit le degré d’intégration, nous subirons le racisme!»; «comme votre titre l’indique, n’ayons pas peur de revendiquer notre africanité!» Au sein de la population lausannoise présente à la première, chacun y va de ses questionnements et de ses avis. «Je ne m’attendais pas à autant de monde ni d’opinions. Mais ça prouve que c’est le début d’une prise de conscience», sourit Ebuka. Le film devrait sortir dès la mi-octobre dans les salles romandes, puis mondiales. – Achille Karangwa, Le Courrier