Ray & Liz

Richard Billingham, 2018, Royaume-Uni, DCP, version originale anglaise sous-titrée français, 108', 16/16 ans Avant-première | Sortie le 10 avril au zinéma

Archives 2019

Description

Le photographe britannique Richard Billingham s’était fait connaître à la fin des années 90 avec «Ray’s a Laugh», une série de photos consacrée à la vie quotidienne de Ray, son père alcoolique et de Liz, sa mère (guère mieux lotie). Pas spécialement flatteuses, ces photos avaient d’ailleurs fait polémique de par leur coté crûment biographique, et aujourd’hui encore, il n’est pas évident de dire quel point de vue l’artiste portait sur ses parents : moqueur, cinglant ou attendri. Vingt ans plus tard, Billingham réalise ici son tout premier long métrage, et comme le titre l’indique, le sujet en est une nouvelle fois la vie de couple de ses parents. Comme si rien n’avait changé ? Pourtant tout a changé. Non seulement Billingham (déjà auteur des courts films vidéo) s’empare du média cinéma sans se limiter, se contenter de recréer ses photos en mouvement, mais cette fois ci, il s’agit pour la première fois clairement de fiction. Une fiction réaliste… et surréaliste à la fois.

Il y a dans «Ray & Liz» de très nombreux détails qui non seulement « sonnent » plus vrai qu’ailleurs, mais ancrent le film dans un réalisme solide. Un bric-à-brac de décoration de mauvais goût, un accent cockney particulièrement marqué, de sordides lotissements en briques tels qu’on en a vu dans plus d’un film. Et pourtant «Ray & Liz» déborde très vite et sans hésiter des deux cadres qui pourraient le restreindre : celui du réalisme social anglais (le film n’a rien de rien à voir avec du Ken Loach) et celui du film autobiographique. Difficile de deviner où le film va, non pas à cause d’un scénario farfelu, mais parce qu’il suit son propre fil narratif, en associant trois registres que l’on pensait pourtant inconciliables  : le glauque, le farfelu et le merveilleux.

La reconstitution historique de cette Angleterre prolétaire des années 80, où l’horizon des personnages ne dépasse pas les quatre murs de leur appartement miteux, débute comme une sorte de théâtre claustrophobe. Mais déjà, elle est choyée par le travail remarquable de Daniel Landin («Under the Skin») à la photo. Puis la voilà balayée par des vents inattendus : celui d’un humour clownesque, presque grotesque, et celui d’un onirisme à la fois généreux et anxieux. Dans une des meilleures scènes du film, un enfant se perd en pleine nuit dans son quartier, comme s’il se trouvait dans les bois d’un conte, et il entend un unique cri de femme venu d’on ne sait où. Réalisme social ou conte de fées ? Les deux à la fois. Événements réels ou rêveries ? La reconstitution de «Ray & Liz» a la logique floue mais puissante des souvenirs personnels rarement partagés. Et au final, c’est comme si le film se déroulait hors du monde.

S’il fallait à tout prix trouver une comparaison cinématographique à faire, on citerait bien «Ratcatcher», le premier film de Lynne Ramsay, et sa manière songeuse et féroce de faire fi du réalisme pour mieux parler du réel. A chaque fois que l’on croit comprendre sur quel pied danser, que l’on croit savoir à quoi s’attendre, nos attentes sont déjouées par une mise en scène à la poésie inventive, et par un ton des plus curieux. «Ray & Liz» est sans pitié quand il s’agit de montrer la violence quotidienne et l’alcool (ingurgité dans des doses inquiétantes) mais rempli d’une bienveillance désabusée, comme si l’horreur et la tendresse allaient main dans la main.

Plus rien à voir avec le travail photographique d’origine, alors ? Rétrospectivement, en se repenchant sur les photos de «Ray’s a Laugh», on trouve déjà des traces de cette étrangeté : un chat volant ou des visages tendus comme s’ils étaient frappés par des mains invisibles. Comme si la fiction était présente dès le début. L’imagination et l’invention, comme une fenêtre ouverte face au quotidien le plus dur. – Gregory Coutaut, lepolyester.com