Foudre

Carmen Jaquier, 2022, Suisse, DCP, version originale française, 92', 12/14 ans

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Description

«Foudre», le premier long métrage de la Suissesse Carmen Jaquier, porte particulièrement bien son nom. Non pas que le cinéma suisse ne soit pas généreux en éclats (le film vient plutôt même confirmer son excellente vitalité, après les chocs «La Jeune fille est l’araignée», «A Piece of Sky» ou «Unrest», rien que ces derniers mois), mais justement parce qu’il s’agit là encore d’une révélation aussi éclatante qu’un coup de tonnerre. «Foudre» porte bien son titre et pourtant, au-dessus du hameau de montagne où se déroule l’action, le ciel n’est jamais à l’orage. Les cieux, d’une majesté si mystique qu’on peut en parler au pluriel, sont plutôt d’une écrasante beauté, aux couchers de soleil rose ou même rouge sang. Il devrait ne rien y avoir de plus banal que le ciel qui s’étend à perte de vue devant les personnages de «Foudre», et pourtant la mise en scène de Carmen Jaquier en fait une énigmatique terra incognita où gronde autre chose que des éclairs.

Les cieux, Elisabeth devrait connaitre, elle qui vient de passer son adolescence au couvent. Suite au décès de sa grande sœur nommée Innocente, elle revient dans la ferme familiale où une cloche de silence et de honte semble s’être installée. Ce qui est arrivé à Innocente est plus qu’un mystère, c’est un tabou qu’Elisabeth est priée d’accepter sans se poser de questions, comme tant d’autres dogmes. «Le diable est venue reprendre sa servante», lui avoue-t-on tout au plus. Tandis qu’Elisabeth se demande si elle a suffisamment ou assez bien prié pour protéger sa sœur, un deuxième monologue intérieur vient se superposer au sien: à travers un journal intime laissé derrière elle, Innocente vient reprendre la parole.

Qu’avait donc vu Innocente dans le ciel qui lui fasse mériter la mort? «Foudre» est rempli à ras-bord de mystères. Ceux de la foi, ceux du secret, ceux de la sexualité, ceux des rituels (une scène de fête filmée comme un sabbat se sorcières, une scène de masturbation comme un acte magique), ceux des symboles (un journal qui ressemble à un grimoire, une icône qui ressemble à une créature fantastique). Carmen Jaquier fait preuve d’un talent stupéfiant pour mettre cela en scène. Si les immenses paysages des Alpages sont mis en avant par des compositions à couper le souffle, la beauté de «Foudre» n’est pas décorative pour autant. Si le feu de l’émancipation brûle dans le corps même d’Innocente et Elisabeth, il consume aussi le film dans son ensemble. Par des effets de montage, de lumières, de couleurs saturées, Jaquier donne l’impression que les jeunes filles qu’elle filme sont littéralement en feu.

En début d’année, le réalisateur australo-macédonien Goran Stolevski réalisait avec «You Won’t Be Alone» (présenté à Sundance) une fascinante fable de folk horror sur le rapport sorcier des jeunes filles à la nature. Il y a un parallèle à faire avec «Foudre», qui ne mâche pas ses mots au moment de condamner la place des jeunes filles dans une organisation religieuse patriarcale, et qui ne manque pas moins d’ambition au moment d’imaginer des alternatives subversives, et de transformer celle-ci en purs moments de cinéma. Exploration incandescente et sensorielle de la liberté, «Foudre» est autant un bucher de sorcière qu’un feu de joie. – Gregory Coutaut, Le Polyester

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